Je, François Villon
Voici le billet de ma première lecture commune : je ne suis pas peu fière.
C’est donc au cours d’une discussion sur Le magasin des suicidés de Jean Teulé que l’idée de cette lecture commune avec Petite Fleur autour de Je, François Villon s’est décidée.
J’ai lu le roman lors de mon voyage en Allemagne et à mon retour j’ai poursuivi avec Le Montespan (que je n’ai toujours pas chroniqué d’ailleurs). Je suis donc entrée un peu plus profondément dans l’univers de cet auteur
François Villon
« Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous autres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci. »
J’ai eu l’occasion d’étudier cet auteur au cours de mes études et je dois avouer que j’ai une tendresse particulière pour ce voyou de génie qui a su écrire des ballades qui nous parlent encore aujourd’hui.
De La Ballade des dames du temps jadis reprise avec bonheur par Georges Brassens à ses vers si connus qu’ils appartiennent à notre inconscient littéraire, François Villon est encore bien vivant mais paradoxalement si peu connu.
L’idée de Jean Teulé, écrire sa biographie romancée et forcément fictive aux vues des grands pans d’ignorance concernant la vie du poète, ne pouvait que me réjouir et c’est avec gourmandise que je me suis plongée dans le roman.
Je, François Villon
Le ton est donné dès le premier chapitre qui s’ouvre la description d’un corps carbonisé qui se révèle être celui de Jeanne d’Arc.
François Villon serait né le jour de la mort de la Pucelle : curieux présage, cruelle ironie que Jean Teulé va se plaire à dérouler durant tout son roman.
On est d’emblée impressionné, saisi par la puissance de ce « je », par la richesse du récit, si réaliste et si saisissant quand la vie même du poète semble vouée à l’oubli.
Jean Teulé s’est remarquablement bien documenté : il s’est plongé dans les rares archives dont nous disposons, les archives de police, et surtout dans les milliers de vers du Testament, œuvre poétique de François Villon pour recréer l’atmosphère de ce Moyen-Âge gothique et rocambolesque qui sent le souffre et le vin et ne cesse de nous surprendre.
Le récit, haletant, ménage judicieusement quelques pauses poétiques à travers les poèmes de Villon qui rythment ses aventures.
Ce roman est assez déconcertant.
Il est bouleversant et saisissant sur le plan de la narration et pour la reconstitution de certains milieux du Moyen-âge tels que celui des prostituées parisiennes ou du mythique clan des Coquillards.
Mais il est également déconcertant voire embarrassant. Jean Teulé n’épargne pas son lecteur qui se retrouve immergé dans l’univers des tavernes et des tripots dans lesquels les festins faisandés succèdent aux orgies barbares. Les descriptions sont crues, cruelles même et tendent parfois au voyeurisme complaisant.
Cette insistance de Jean Teulé dans ses descriptions m’a parfois dérangée mais je reconnais qu’elle confère au roman une puissance d’évocation qu’aucune biographie traditionnelle ne saurait rendre.
C’est aussi parce que le portait qu’elle renvoyait de Villon ne correspondait pas à l’image que je m’en étais faite en l’étudiant. J’ai été déroutée et bousculée dans les représentations et cela, dans un premier temps, ne m’a pas plu.
Mais n’est-ce pas là une des missions de la littérature ? Il m’a fallu accepter être brusquée et dérangée pour apprécier pleinement ce livre.
Jean Teulé nous raconte, ne nous faisant grâce d’aucune vilenie, d’aucune trahison, d’aucune barbarie, les trente-deux années d’existence rocambolesque du poète.
Quelle est la part de vérité ?
Quelle est la part d’invention et de fantasme de l’auteur ?
Là n’est pas tellement la question.
Jean Teulé n’est pas un réaliste et la vraisemblance l’intéresse moins que l’atmosphère d’une époque, d’un lieu, d’un univers auquel il confère une puissance allégorique indéniable.
C’est en cela qu’en dépit des outrances et des excès de la narration ce roman est une évocation très réussie de ce Moyen-Âge fantasmé et gothique, si loin des images lisses et policées que l’on a l’habitude de voir.
Je vous engage bien évidement à aller voir l'avis de Petite Fleur ici